Le chercheur entrepreneur : mythe ou réalité ? Un podcast
Chercheur et entrepreneurs ce n'est pas incompatible, c'est possible, ça demande des sacrifices, ça demande de se faire accompagner, ça demande de trouver la bonne équipe !
Dans son podcast Thèse Antithèse Synthèse, Rony Abecidan a abordé le 1er septembre 2023 le sujet suivant : Le chercheur entrepreneur : mythe ou réalité ?
Les invités de cet épisode sont :
- Arthur Lin – Doctorant en sciences de l’Information et de la communication à l’université Gustave Eiffel et Entrepreneur,
- Louis Fleury – Principal à Entrepreneur First (Talent Investor),
- Frederic Sauvage – Directeur de recherche au CNRS et Entrepreneur,
- Hervé Lebret – Codirecteur de l’Inria Startup Studio.
L’échange dure 1h30 et ISS en a extrait les éléments partagés par son co-directeur.
Rony Abecidan : Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode de Thèse Antithèse Synthèse
Le thème de cet épisode va être le chercheur entrepreneur. Pourquoi ? Parce que quand on s’engage dans un doctorat, en général notre entourage pense que notre objectif c’est de devenir professeur. Alors c’est vrai que quand on veut être enseignant universitaire, le doctorat c’est une étape préliminaire. Mais ce n’est pas l’unique débouché ; il y a également des chercheurs par contre qui se lancent dans l’entrepreneuriat et bien que ça puisse paraître en fait surprenant, ils seront nombreux ; ils sont nombreux à se lancer dans l’entrepreneuriat après le doctorat. Et même il y en a qui commencent à entreprendre pendant leur thèse alors en quoi l’entrepreneuriat peut convenir aux chercheurs ? Dans quelle mesure le doctorat peut-il se révéler un atout pour initier un projet entrepreneurial ? Nous allons voir tout ça dans cet épisode. Il est en maintenant de passer à la présentation dans un invités. […]
Le pari d’Inria sur les chercheurs et docteurs entrepreneurs
Rony Abecidan : C’est quoi INRIA et c’est quoi Inria start-up studio ?
Hervé Lebret : Inria c’est l’Institut National de Recherche en Sciences du numérique aujourd’hui, et le IA voulait dire « informatique et automatique » ; c’est un institut de recherche qui a 50 ans, qui est localisé dans 9 centres en France. Un mini CNRS spécialisé dans l’informatique. Inria Startup Studio [ISS] est une unité qui a été créée il y a 4 ans dans la continuité du soutien à l’entrepreneuriat et au transfert de technologie [au sein de l’institut]. Frédéric l’a bien dit tout à l’heure, il y a autre chose que l’entrepreneuriat dans la valorisation des actifs de la recherche. ISS a été créé il y a 4 ans avec une ambition un peu folle de soutenir jusqu’à 100 projets de start-up dans le numérique par an. On en est loin, on est à une trentaine.
[ISS travaille] pour des chercheurs Inria, pour des chercheurs de l’Université, des chercheurs du privé, pour des non chercheurs avec l’idée d’aider des gens avant qu’ils créent la start-up dans le domaine du numérique et de la deeptech, donc avec une notion d’une techno profonde même s’il est très difficile de définir [la deeptech].
Concrètement comment cet incubateur qu’est Inria Startup Studio accompagne les jeunes chercheurs, et pas forcément chercheurs finalement dans la création d’entreprise ?
ISS essaie d’apporter tout ce qui est nécessaire à un porteur. La première chose c’est l’argent : si vous devez vous mettre au chômage pour vous lancer, ce n’est pas forcément confortable donc on paye deux personnes par projet à plein temps avec un salaire INRIA pendant un an. Un an c’est super court, mais c’est aussi super bien. Il n’est pas sûr qu’il y ait beaucoup de programmes qui puissent se permettre de faire cela. Donc on paye jusqu’à deux personnes par projet. Inria les héberge dans un des 9 centres Inria, la géographie c’est un peu partout en France et on les accompagne avec quatre personnes dans le programme national et au moins une personne par centre. Nous sommes environ une quinzaine de personnes qui peuvent accompagner les projets. Je ne vais pas définir l’accompagnement, je pense qu’il est un peu systématique quant il est question d’entrepreneuriat.
Et puis on a des formations, des ateliers, des camps [similaires à des écoles d’été]. Nous avons une multitude d’événements, comme Find Your Cofounder, en partenaire avec Matrice. Nous participons à Vivatech, Hello Tomorrow, Phd Talent Fair, qui permettent de mettre en réseau nos porteurs pour les aider à se lancer dans le projet. Un soutien à multiples dimensions.
Est-ce que dans les entreprises que vous accompagnez, il faut qu’il y ait forcément un chercheur Inria ?
Non. Ce qu’on exige c’est qu’il y ait une personne qui maîtrise la technologie. Nous ne prendrons pas quelqu’un qui a une vision business qui viendrait chercher un chercheur. Dès le début du projet, il y a une personne qui maîtrise la vision du développement technologique et même plus que la vision, le porteur a la maîtrise du développement technologique pour en faire un produit. Vos invités ont bien décrit (et c’est l’avantage d’être interviewé en dernier) la difficulté ce changement de référentiel entre être un chercheur et être un entrepreneur. J’ai un peu tendance à dire qu’on peut être chercheur puis entrepreneur puis chercheur mais ce n’est pas facile d’être les deux à la fois parce qu’en fait on est à 150% de son temps [dans chaque activité]. S’il y a un point commun entre les deux domaines, c’est qu’il faut être passionné, il faut être obstiné. Je l’ai entendu, il faut aller jusqu’au bout des choses donc faire les deux choses à la fois, et Arthur l’a un peu dit : vendre et faire de la recherche c’est compliqué. D’ailleurs on exige que nos porteurs soient à 100% dans le projet.
Donc si un chercheur permanent veut entrer dans le startup studio il va faire une pause dans sa recherche et pendant un an, il va travailler à son projet de start-up. On a ces spécificités qui sont importantes : prendre des gens qui sont très compétents techniquement, pas forcément chercheurs permanent, pas forcément doctorants, mais aussi des jeunes ingénieurs en sortie d’école dans l’espoir de [construire] des choses fabuleuses. A la limite Facebook, enfin Mark Zuckerberg ou Bill Gates n’avaient pas de doctorat et ils ont fait des entreprises technologiques. On voit bien qu’il faut une diversité de porteurs que l’on va aider.
Et puis la deuxième personne, puisqu’on paye jusqu’à 2 personnes, peut être plus business ou peut être quelqu’un qui va être le partenaire technique du porteur, mais on a forcément un porteur technique.
Concrètement il y a combien de startups que vous avez lancé pour l’instant ?
Nous avons un comité qui a sélectionné 115 projets. On ne peut créer la startup qu’à l’issue du programme qui dure un an. Il y a 77 projets (de mémoire) qui ont terminé sur les 115 sélectionnés, et 29 startup créées ; on a donc un taux de conversion de 40%, ce qui n’est pas si mal si on pense qu’on prend des gens qui ont une idée à l’issue de leur thèse. Voilà la situation aujourd’hui. Et de plus 5 startup ont levé plus de 500 000 Euros auprès d’investisseurs privés.
Tu as une idée du nombre de docteurs qu’il y a dans les dans ces boîtes ?
Alors j’ai ouvert un fichier tout à l’heure quand j’ai entendu la question qui était posée. Je dirais qu’on a 75 % de docteurs dans notre programme. J’ai dit 115 projets, on a en fait plus de 170 personnes, on n’a pas toujours deux personnes par projet et sur les 170 personnes, je dirais qu’on a plus de 75% ; alors de docteur, ex-docteur parce qu’on a des chercheurs permanents, on a des gens 55 ans dans le programme. Et des gens de 20 ans. On n’a pas nécessairement vérifié que les gens qui venaient de l’extérieur, du privé avaient un doctorat, parce que ce qu’on cherche, ce sont les compétences. Par contre je sais que dans les projets qui sortent d’Inria ou de l’université, c’est 90% de docteurs.
Oui mais là c’est un peu biaisé du coup !
Évidemment ! On est quand même un programme dans un institut de recherche donc il y a ce biais initial. Mais on a osé !
Mais tu vois à Entrepreneurs First ils avaient une statistique qui ressemblait à 70 %, ça se rejoint.
Absolument.
Des parallèles entre recherche et entrepreneuriat
Est-ce que toi du coup, dans les différentes entreprises qui ont été lancées, est-ce que tu observes des compétences particulières que les chercheurs ont pour leur permettre de se démarquer un peu dans l’entrepreneuriat ?
J’aime bien l’idée qui a été mentionnée plusieurs fois qu’il y a un changement de référentiel. Frédéric l’a dit, un chercheur est passionné par la connaissance. Un entrepreneur pense d’abord à vendre un produit. Un chercheur est passionné par la technique et la science ; un entrepreneur par le produit. Un chercheur travaille en années et un entrepreneur c’est en semaines. Un chercheur est passionné par la perfection, il ne peut pas se tromper dans sa recherche sinon son papier ne vaut rien alors qu’un entrepreneur, c’est « good enough », s’il a quelque chose qui fonctionne à 80%, il a déjà produit donc les référentiels ne sont pas les mêmes.
Maintenant je pense, et je ne l’ai pas dit, mais je viens d’une culture anglo-saxonne. J’ai passé 2 ans aux États-Unis et j’ai vu la différence entre les États-Unis et l’Europe, pas seulement la France et on voit bien que ce qui fait la qualité d’un chercheur ou d’un entrepreneur, c’est l’obstination et c’est la capacité d’accepter l’incertitude parce que dans les deux cas on n’est jamais sûr d’obtenir des résultats. Ces qualités sont essentielles aussi bien dans l’entrepreneuriat que dabs la recherche et on les retrouve en permanence dans les deux. Maintenant dans la manière dont ça se déroule dans les carrières, ce n’est pas exactement la même chose. On ne peut pas dire qu’un bon chercheur fait un bon entrepreneur ou un bon entrepreneur fait un bon chercheur, mais il y a des qualités communes.
Il y a donc beaucoup de parallèles entre les deux mais je comprends ce que tu veux dire, on ne peut pas faire un lien de cause à effet.
Il y a de très bons chercheurs qui font de très mauvais entrepreneurs mais aussi de très bons entrepreneurs. Je parlais plus haut de Marc Zurckerberg et Bill Gates [qui auraient pu être peut-être de très bons chercheurs, mais ce sont arrêté au Bachelor] mais prenez Google, c’était deux doctorants, ils avaient fait de l’excellente recherche et ils sont devenus de remarquables entrepreneurs. Le fondateur de nVidia qui devient la nouvelle star de la technologie, un nouveau GAFA, était un étudiant qui sortait d’un master de Stanford [après quelques années d’expérience professionnelle]. Il faut bien noter que ces qualités sont dans le domaine de l’exception, on n’est pas dans la statistique gaussienne. Dans tous les cas, on est dans des personnages hors norme.
We Do Low et Alias (aka Olympe), exemples de projets Inria
Deux ou trois exemples de startup que vous avez incubé à Inria ?
Tout à l’heure, j’ai entendu parler d’une jeune femme qui avait impressionné un des intervenants. Nous avons eu une startup à Rennes qui s’appelle Wedolow (pour l’anecdote, elle a changé 4 fois de noms), la fondatrice s’appelle Justine Bonnot, elle a fait son PhD à l’INSA, en lien avec l’Inria. Elle a commencé dans la vérification, l’optimisation de code pour pour les systèmes embarqués. Je n’ai pas le droit de dire combien d’argent elle a levé, mais je crois que c’est plusieurs centaines de milliers d’euros et elle était partie d’une idée de recherche. Si vous allez sur le site inriastartupstudio.fr où l’on a tout le portefeuille, vous verrez que c’est assez impressionnant. C’est un joli exemple d’une jeune femme, il n’y en a pas beaucoup, ça on s’en plaint, il n’y a pas assez de femmes dans l’entrepreneuriat ou dans la science d’ailleurs. J’aime bien la mettre en avan c’est un bel exemple.
On a eu un autre exemple de quelqu’un qui avait fait une start-up avec le CNRS, il s’appelle Benoît Morisset, il a vendu sa startup à Apple si je ne dis pas de bêtises ; il est revenu nous voir, il travaille avec un chercheur qui s’appelle Pierre Alliez, dans le traitement d’image dans le centre de Sophia Antipolis et on l’a soutenu pendant un an. Il a levé 3 millions d’euros avec BPIFrance et Innovacom donc un beau succès de startup qui s’appelle AIverse.
Le dernier exemple que j’aime beaucoup, ce sont des gens qui essaient de gérer le RGPD : Mehdi Medjaoui et François-Xavier Cao. François-Xavier Cao est doctorant en droit ; il n’y a pas que des doctorants en sciences. Mehdi Medjaoui est quelqu’un qui a une « gnaque » incroyable. La startup s’appelle Alias [aussi Code is Law], elle a levé à peu près 3 millions avec le fonds Elaia et BPIFrance. L’histoire a été tellement exceptionnelle qu’ils n’ont passé que 6 mois chez nous et puis au bout de 6 mois, ils se sont rendus compte qu’ils étaient prêts pour créer la startup et lever de l’argent donc ils ont quitté notre programme. Voilà trois exemples parmi les 29 start-up qui ont été créées.
Juste une dernière question. Est-ce que tu observes des difficultés que rencontrent tous les entrepreneurs qui passent par le startup studio, est-ce que tu peux tirer des conclusions sur les principales difficultés rencontrées par les entrepreneurs ?
Il y en a beaucoup. Je réfléchissais à la question que tu avais posée. Je pense que la première elle est bêtement culturelle. J’ai parlé de la culture anglo-saxonne. Faire de l’entrepreneuriat aux États-Unis c’est un « given », il y a tellement de références, il y a tellement de « role models » ça ne pose pas de problème. On sent bien en France et dans les instituts de recherche que devenir entrepreneur, malgré tout ce que disait Frédéric, c’est quand même un peu compliqué, on vous regarde un petit peu de côté. Il y a déjà cette idée : est-ce que je suis bien accepté ? Culturellement, il y a quelque chose qui est encore un peu compliqué.
La loi, même si elle favorise la création d’entreprise, est encore un peu compliquée. Je peux vous dire que j’ai essayé de comprendre la loi pacte qui a été une évolution de la loi à l’aide ou dans les années 80. C’est très compliqué pour un chercheur de se dire, « est-ce que je fais » comme l’a dit Fréderic tout à l’heure, « du concours scientifique ou est-ce que je pars dans l’entreprise pour me mettre à plein temps. » Les choix ne sont pas si simples.
Donc il y a des aspects culturels, il y a des aspects juridiques et puis après, c’est l’argent évidemment. Les investisseurs sont quand même assez conservateurs en France donc ils ont parfois du mal à prendre des risques alors qu’on parle de capital-risque. Le mot « risque » n’y est pas forcément donc c’est difficile de trouver l’argent. BPIFrance aide beaucoup mais plutôt en ce qu’on appelle en matching, en effet de levier mais ce n’est pas forcément des sommes considérables et donc il y a toujours cette difficulté à trouver de l’argent.
Et aussi trouver une équipe, recruter des gens qui ont envie de prendre des risques avec vous. Mais j’ai envie de dire qu’argent et talent, cela va de pair.
Des conseils aux futurs entrepreneurs
Oui c’est clair. Merci beaucoup pour tes réponses très précieuses. On peut peut-être rapidement conclure l’épisode avec un conseil de chacun pour des gens qui voudraient se lancer de l’entrepreneuriat et qui sont issus de la recherche ?
J’ai envie de dire qu’il faut être passionné pour faire une start-up comme pour faire de la recherche. Je pense de toute façon que les gens qui font ma recherche sont passionnés donc ça c’est le premier élément.
Si on a un tout petit peu envie d’explorer ce monde, il ne faut pas hésiter à l’explorer parce que de toute façon, à partir du moment où on est en train de faire la recherche, et qu’on a un doctorat, le monde est ouvert, on trouve du travail assez facilement, en tout cas aujourd’hui très facilement, peut-être plus facilement qu’il y a 10 ans donc. Donc si on a cette envie, comme l’a dit Louis je crois, il y a beaucoup de structures, il y a la nôtre mais il y en a plein d’autres, je ne vais pas faire un appel du pied spécifique, je pense que toutes les structures font du bon travail. Il faut faire attention à ne pas toujours écouter les conseils parce qu’ils sont parfois toxiques. Je le dis aussi, il ne faut pas avoir peur de suivre son intuition.
Il faut écouter les conseils des gens parce qu’on ne sait pas tout et qu’on peut apprendre des choses ; et puis y aller parce que de toute façon, on ne perd pas beaucoup de temps à apprendre tellement de choses d’une manière assez incroyable.
[La réponse de Frédéric Sauvage]
Moi j’en ai trois. J’aurais tendance à dire première des choses, croire à son projet. Il faut croire à son projet pour pouvoir convaincre. Deuxième chose c’est l’équipe. Elle est super importante et donc si j’avais un conseil à ce niveau-là : la technologie c’est une chose, le plan de développement c’est une autre, mais il faut l’équipe qui va avec. Et le troisième conseil c’est quand même d’avoir les nerfs solides parce que en effet là, je suis complètement en phase avec ce qui a été dit par Hervé, il faut être passionné par son développement technique, il faut avoir les nerfs solides parce que c’est pas toujours simple, rien n’est gagné, rien n’est acquis et en effet la vision d’une start-up, de sa vie à l’échelle de quelques mois (c’est ça l’échelle de temps), des fois on a des hauts, des fois on a des bas, et donc il faut avoir les nerfs très solides. Mais la finalité dans tout ça en fait, un peu pour clôturer ce que moi je pense, c’est que au final quoi de plus beau que de voir ces éléments intellectuels, demain, intégrés dans un produit et qui en plus est un produit bénéfique à la société. C’est juste magnifique donc si on y croit, il faut y aller.
Sur ces belles paroles nous allons conclure l’épisode. J’espère que vous avez compris qu’être chercheur et entrepreneurs ce n’est pas incompatible, c’est possible, ça demande des sacrifices, ça demande de se faire accompagner, ça demande de trouver la bonne équipe.
Date de publication : 19/12/2023