D’Inria à une startup de croissance : le parcours d’Anh-Tuan Gai
L’acquisition de nouvelles compétences, l’épuisante recherche des financements ou encore la persévérance nécessaire à l’entrepreneur pour faire face à des années de développement, Anh-Tuan Gai, doctorant Inria en 2006 et actuel CEO d’Adagio.io les connaît bien. Il est revenu sur son parcours à l’occasion de la Fête des Startups, organisée par Inria Startup Studio le 30 novembre 2023.
Lorsqu’il se retourne sur les vingt dernières années passées en tant que doctorant puis entrepreneur, Anh-Tuan Gai, qui rencontre aujourd’hui le succès avec Adagio.io, spécialiste de l’optimisation des inventaires publicitaires des éditeurs de sites Web, voit se tisser un fil rouge : “celui de la scalabilité. Si je témoigne aujourd’hui, c’est que comme beaucoup d’entre vous, j’ai réalisé ma thèse à Inria. Elle concernait des algorithmes permettant de structurer les données de millions d’utilisateurs. Aujourd’hui, j’ai enfin réussi à développer un business scalable, avec une entreprise structurée pour générer des millions ! Cela m’a pris vingt ans, et je pense que c’est aussi pour cela que Sophie Pellat et Hervé Lebret, les co-directeurs du Startup Studio, m’ont demandé d’intervenir aujourd’hui : si mes conseils peuvent faire gagner quelques années aux porteurs de projets qui nous écoutent, c’est l’idéal !”
Des tâtonnements des débuts…
Move & Play
De sa thèse réalisée à Inria avec Laurent Viennot, avec lequel il fonde Move & Play, dont l’ambition était le lancement d’une application mobile de synchronisation de fichiers entre iPhone et Mac, il tire ses premiers enseignements : l’importance d’être “time to market”, et la nécessité de changer de posture entre la recherche et l’entrepreneuriat.
“En 2007, il n’y avait pas encore de SDK facilitant la création d’applications par des développeurs tiers. Il y avait aussi peu d’utilisateurs d’iPhone. Mais nous avons développé un précurseur d’iCloud en peer to peer, à l’époque où il n’était pas aussi aisé de synchroniser des librairies de fichiers audios, photos et vidéos entre différents appareils. L’innovation était belle, mais il n’y avait pas encore de marché. Il fallait alors passer d’une posture de chercheur, où l’on veut donner corps à ses idées, à une posture plus réaliste et pragmatique. Néanmoins, cela m’a permis d’engranger de l’expérience dans la gestion d’une entreprise et la recherche de financements. J’ai notamment appris l’importance de créer un MVP, pour Minimum Viable Product, soit une offre de base qui fonctionne et va vous permettre de générer vos premiers revenus.”
Cleverscale
Poussé par la nécessité de trouver des clients pour renouveler ses financements, Anh-Tuan Gai délaisse alors le peer-to-peer à regret pour se lancer dans le cloud au travers d’une nouvelle startup. De là vient un second enseignement : la nécessité d’être agile pour s’adapter à l’évolution de son marché et saisir de nouvelles opportunités. “Cleverscale avait pour but de gérer plusieurs clouds de manière unifiée. Là encore, nous étions en avance de phase, puisqu’à l’époque le cloud était une innovation et qu’il y avait encore peu de concurrents à Amazon Web Services. Cela nous a poussés à améliorer notre argumentaire commercial : multiplier les fournisseurs de cloud permettait de limiter les coûts, le risque de pannes, et surtout d’optimiser les temps de chargement des sites Web, ce qui permet d’augmenter les pages vues et donc la valeur des emplacements publicitaires des médias, ou encore le taux de conversion des sites e-commerce.”
En explorant ces nouvelles problématiques, Anh-Tuan Gai ne parvient pas à développer Cleverscale, qui sera finalement placé en redressement judiciaire. Mais il identifie alors le secteur qui lui permettra, à terme, de rencontrer le succès avec Adagio.io : “D’abord, j’ai eu l’idée de créer Webperf, une société capable de mesurer l’impact du temps de chargement des pages sur le business des médias et des e-commerçants. Nous avons rapidement travaillé avec de beaux clients, comme le Figaro ou Priceminister. Notre plateforme SaaS nous permettait de diversifier nos financements, et de ne pas dépendre seulement de nos business angels.
Webperf
« Nous ne vendions pas assez, ou du moins pas assez cher. Vendre une licence mensuelle à 500 euros à de tels acteurs nous permettait de vivre de notre activité, mais pas de la développer. L’autre problème que nous avions reposait sur notre modèle : nous faisions des recommandations pour améliorer le business de nos clients. Mais si celles-ci ne sont pas appliquées, faute de temps ou de ressources, la valeur perçue de notre outil diminue.”
De là, Anh-Tuan Gai adopte pleinement une posture d’entrepreneur. À l’écoute des besoins de ses clients, il identifie de nouvelles problématiques, qui sont autant d’opportunités à saisir : “Je suis retourné voir mes investisseurs en leur proposant de faire pivoter notre activité sur la mesure et l’optimisation de la visibilité publicitaire. Mais faute de performances tangibles, je n’ai pas réussi à lever à nouveau et je me suis décidé à fermer Webperf pour lancer une nouvelle activité, Onfocus, qui deviendra en 2018 Adagio.io. Il ne faut pas tomber amoureux de ses idées si l’on veut avancer. Par ailleurs, je suis allé chercher ce qui m’a souvent manqué par le passé : un associé doté d’une bonne expérience commerciale. En l’occurrence, il s’agissait de Franck Durousset, l’inventeur de la première solution de mesure de la visibilité publicitaire.”
… à la création d’Adagio.io, pépite française de l’adtech
Une approche axée sur la performance
Conscient que les entreprises investissent rarement dans des outils sans en connaître le ROI, Onfocus va exercer sa technologie d’optimisation de la visibilité des publicités en ligne au travers de sa propre SSP, soit une plateforme de vente des espaces publicitaires aux enchères en temps réel.
De là, Anh-Tuan Gai se heurte lui aussi à l’inertie propre à chaque secteur : “Nous avons voulu changer la manière de commercialiser la publicité en ligne, en passant du nombre d’affichages d’une publicité, qui est un fonctionnement proche de la publicité papier, à la durée d’affichage, qui s’inspire des pratiques de la radio et de la télévision. Mais il est difficile de changer les habitudes et les manières de travailler d’un secteur entier. Toutefois, cela nous a conduits à développer des innovations comme la prédiction de la visibilité d’un emplacement publicitaire, ce qui permet d’améliorer la manière de le vendre. Nous nous sommes alors aperçu que nos outils répondaient à ceux utilisés par les acheteurs d’emplacements publicitaires ! Nous étions du côté des David, les petits éditeurs, face à des Goliath, qui sont les gros annonceurs et les grandes plateformes publicitaires.”
De quoi remettre en question sa conception de son propre marché : “Nous avons développé de plus en plus de solutions permettant aux éditeurs de mieux se rémunérer, enrichissant alors notre plateforme. A la place d’un modèle de croissance classique du SaaS, qui repose sur le nombre d’utilisateurs, ce qui est assez linéaire et rassure l’investisseur, nous avons développé un modèle à la performance. Plus nous générons de revenus avec les inventaires publicitaires qui nous sont confiés, plus nous nous rémunérons, plus nous attirons également de nouveaux éditeurs qui nous confient leurs inventaires…”
Après une levée de fonds en 2018, Onfocus change de nom pour devenir Adagio.io, qui emploie aujourd’hui 30 personnes et réalise près de 60 millions d’euros de chiffre d’affaires, pour un EBITDA de 4 millions d’euros.
Le chemin du succès
Un succès qui permet à Anh-Tuan Gai de partager d’autres observations avec les participants de la Fête des Startups : “Tout au long de mon aventure entrepreneuriale, j’ai testé différents moyens de se financer, des subventions aux fonds, en passant par les business angels, jusqu’à trouver le meilleur modèle : celui du bootstrapping, qui consiste à développer un MVP pour générer soi-même ses premiers revenus et ne dépendre de personne. Au début, nous n’avions même pas de produit, et nous collections des données pour créer des rapports et des études que nous vendions à l’unité. Cela nous a permis de rencontrer nos premiers clients, et de nous baser sur leurs retours pour créer et améliorer notre offre.
Autre chose : si vous devez faire des tours de table, essayez d’en faire le moins possible pour limiter votre dilution au sein de l’entreprise. Enfin, n’investissez pas votre propre argent ! C’est la clé de la résilience, car cela vous permet de quitter un projet ou de le faire pivoter plus facilement, sans entamer vos moyens de recréer à nouveau. Et pour me rassurer sur ma capacité à rebondir, j’avais l’habitude de répondre aux sollicitations des chasseurs de tête, afin d’avoir conscience de ma valeur sur le marché.”
Mais comme il le dit lui-même, difficile de revenir en arrière après avoir goûté à l’entrepreneuriat. Aujourd’hui, Anh-Tuan Gai espère réussir son “exit” d’Adagio.io, c’est-à-dire la revente de son entreprise, afin de pouvoir se consacrer à la transmission auprès d’autres chercheurs et entrepreneurs. Une manière de rendre ce dont il a pu bénéficier à ses débuts, peut-être même en lançant à son tour son propre startup studio…
Clément Fages
Date de publication : 01/03/2024