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Open source, semaine de 4 jours et bootstrapping… Pollen Robotics, une startup à contre-courant dans son secteur
Faire grandir une startup n’est jamais un chemin facile, et rarement un chemin linéaire. Parfois, il faut aussi savoir sortir des sentiers battus, à l’image de ce qu’a fait Pollen Robotics, qui veut rivaliser avec les géants américains ou chinois sur le marché des robots humanoïdes et des IA incarnées.
Faire grandir une startup n’est jamais un chemin facile, et rarement un chemin linéaire. Parfois, il faut aussi savoir sortir des sentiers battus, à l’image de ce qu’a fait Pollen Robotics, qui veut rivaliser avec les géants américains ou chinois sur le marché des robots humanoïdes et des IA incarnées. Les explications de Matthieu Lapeyre, son co-fondateur et CEO, en clôture de la Fête des startups 2024 d’Inria.
“Je ne sais pas si je suis ici pour donner le bon ou le mauvais exemple, je pense que nous ne le saurons que bien plus tard, mais l’enjeu est de vous montrer qu’il existe de multiples chemins pour développer une startup”, annonce d’emblée Matthieu Lapeyre, co-fondateur de Pollen Robotics, startup qu’il a fondé en 2016 avec Pierre Rouanet, autre chercheur d’Inria et membre de la “team Flowers”, au sein de laquelle ont germé les travaux, mais aussi la philosophie qui ont donné naissance à Reachy, un robot humanoïde qui fait aujourd’hui le succès de la startup.
“Dans l’équipe Flowers, nous travaillions sous la supervision de Pierre-Yves Oudeyer, à l’Inria de Bordeaux, sur le sujet de la connexion entre l’IA et la robotique, et notamment la manière dont des agents robotiques apprennent dans le monde réel via des interactions avec les humains”, explique Matthieu Lapeyre, avant de décrire le fonctionnement de cette structure qui lui a permis de s’essayer à l’intraprenariat : “Nous disposions d’une assez grande autonomie et de la confiance de Pierre-Yves, qui m’a laissé stopper mes travaux sur des algorithmes d’intelligence artificielle pour développer un petit projet de robot que j’avais à l’époque, Poppy, qui a connu un certain succès d’estime, et qui m’a permis d’embarquer Pierre Rouanet dans un projet qui est devenu assez important aujourd’hui dans la communauté robotique.”
L’envie de travailler ensemble et en open source comme projet d’entreprise
Ce projet, il s’agit de Pollen, un nom qui s’est naturellement imposé avec l’idée de “dissémination des travaux de l’équipe Flowers, mais avec un côté organique et poétique qui tranche avec les thèmes très synthétiques et futuristes que l’on retrouve chez les autres entreprises de robotiques.” Une manière de ne pas faire comme les autres que l’on retrouve également dans les motivations de Matthieu Lapeyre et de Pierre Rouanet : “Nous avons lancé Pollen pour continuer à travailler ensemble afin de fabriquer et démocratiser des technologies open source dans les domaines de la robotique et de l’IA, via des produits simples et élégants, dans une entreprise faite par et pour des “makers”… On se rend vite compte que ce n’est pas vraiment le pitch d’un projet de boîte qui va gagner de l’argent !”
Pas encore de produit ou de technologie révolutionnaire, pas de besoin identifié… Pollen avance au départ à tâtons, en développant un premier prototype de bras robotique. “La manipulation est un sujet important en robotique, aussi, nous avons développé en 2017 un bras de Poppy à échelle humaine. Un an plus tard, nous avons ajouté un autre bras et de la vision afin de faire de la manipulation avancée et du deep learning, ce qui a donné la base de Reachy, notre premier robot, lancé au CES en 2020 et qui a eu une très belle couverture dans la presse.” Malgré la crise sanitaire qui freine la commercialisation de ce premier robot, l’équipe poursuit son développement, en développant la télé-opération en réalité virtuelle, qui est depuis devenue courante sur le marché, ainsi que la mobilité. Au total, ce robot de première génération s’est vendu à plus de 100 exemplaires. “Cela peut paraître peu, mais sur le marché de la robotique, peu d’entreprises ont réellement déployé un tel nombre de robots.” Par ailleurs, Reachy 1 a permis à Pollen de développer de nouveaux prototypes et de terminer en 2022 à la seconde place du concours Xprize, empochant au passage un chèque de deux millions de dollars.
Le pari du bootstrapping
Une somme bienvenue, car le chemin n’a pas pour autant été aisé : “Faire de la science en entreprise n’est pas simple. On a l’impression que notre vision du futur et des sujets importants sur lesquels travailler sont des évidences, quand les investisseurs nous demandent simplement : quel est votre marché ? Quelles perspectives d’ici 5 ans ou 10 ans ? Nous avions l’impression de perdre notre temps en cherchant des financements, aussi nous avons décidé de bootstrapper, c’est-à-dire de nous financer grâce à la vente de nos produits. Dans le monde du hardware, de la robotique et de l’IA, c’est assez tortueux… Je ne vous le conseille que si vous avez le coeur bien accroché !” Pour preuve : dans l’optique du CES 2020, Pollen développait une borne d’arcade IA, avant de changer ses plans deux mois avant l’événement pour s’orienter vers Reachy et le succès qu’on lui connaît.
Mais encore fallait-il ensuite trouver des cas d’usage à Reachy susceptible d’intéresser de potentiels clients. “Les deux premières années de financement par l’Inria sont très agréables, car on peut se focaliser sur le développement de nos idées. Ensuite, les problèmes d’argent reviennent régulièrement, et le plus dur commence, avec ses hauts et ses bas.” Exemple en 2022, année où la startup doit son salut à son banquier, qui accepte d’étendre sa capacité de découvert de -50k€ à -100k€, avant que l’entreprise ne remporte le second prix du concours Xprize. “C’est la première personne que j’ai appelée pour la remercier”, indique Matthieu Lapeyre, pour qui “on n’est pas mort en arrivant à zéro de trésorerie. On est mort quand on décide d’arrêter de se battre.”
Marquée par cette année exceptionnelle, l’équipe de Pollen Robotics en a d’ailleurs fait un documentaire : Pollen Robotics: The Making Of A Challenger, disponible sur YouTube. En cette fin d’année 2024, Pollen livre les premiers modèles de Reachy 2, la nouvelle version de son robot d’embodied AI, l’IA incarnée, selon son approche si spécifique : “friendly, open et collaborative, à l’inverse de la déferlante de projets propriétaires froids et futuristes qui arrivent sur le marché à l’image d’Optimus de Tesla.”
Une gouvernance atypique qui séduit
L’entreprise s’échine également à développer une plateforme robotique open source qui serait une alternative à ces firmes propriétaires, en partenariat notamment avec Hugging Face, la pépite française de l’IA qui partage la même philosophie. “On est très fiers de l’équipe que nous avons assemblée, mais aussi des collaborations initiées avec les plus grands laboratoires de recherche qui sont aussi nos clients avec lesquels nous travaillons à l’amélioration de nos solutions. Le tout, en respectant nos valeurs.”
Des valeurs qui permettent à Pollen Robotics de souder une équipe d’une trentaine de membres, tous des “amis, ou des amis d’amis”, recrutés par cooptation et prêts à dire non à des salaires deux à trois fois supérieurs afin de bénéficier d’un cadre de travail unique : “Nous avons répliqué le modèle de l’équipe Flowers, basé sur la confiance. Il n’y a pas de managers et pas de contrôle des horaires. Tout le monde bénéficie de sa propre CB pour faire des achats urgents si besoin, il y a une grille salariale unique. Mais le mieux, c’est l’adoption de la semaine de 4 jours depuis 2021 ! Au départ, on nous disait que ce serait difficile et qu’il faudrait mieux nous structurer à 5, puis à 15, l’équivalent du nombre de membres de l’équipe Flowers… Désormais nous sommes 30, et ça tient encore et nous continuerons jusqu’à ce qu’on se plante”, indique Matthieu Lapeyre.
En conclusion, le CEO rappelle l’importance de se faire confiance et de suivre son instinct pour trouver la motivation d’entreprendre : “J’ai l’impression qu’à chaque fois que nous avons été perdus, c’est quand nous avions écouté des conseils que nous ne voulions pas écouter. Nous n’étions plus nous-même, nous ne portions plus nos propres idées. Bien sûr il ne faut pas être extravagant et n’écouter personne, mais sur certains points essentiels, c’est ok de ne pas faire comme tout le monde afin de préserver notre originalité. Avec le recul, je m’aperçois que tous nos succès ont été obtenus quand nous étions en accord avec nos valeurs, et que nous avions la liberté de l’être. Le plus grand risque c’est de ne pas tenter ce que l’on a envie de tenter : au pire, l’entreprise s’arrête, et ce qui m’embêtera le plus c’est de ne plus travailler avec mes collègues. Mais si vous ne tentez rien, le risque est de devenir prisonnier d’une boîte qui ne vous inspire plus, avec tous les ennuis, et sans le plaisir d’entreprendre.”
Date de publication : 10/02/2025