Cinq conseils de vétérans de la tech aux jeunes entrepreneurs
Ecosystème 9 minutes

Cinq conseils de vétérans de la tech aux jeunes entrepreneurs

Depuis près d’un demi-siècle, Jean-François Abramatic, François Bancilhon et Michel Gien ont été acteurs de toutes les révolutions majeures de la tech, des débuts de la micro-informatique et du capital venture à l’IA. Ils reviennent sur leurs parcours émaillés d’innovations, d’expatriations, de rachats et de dépôts de bilan lors de…

Depuis près d’un demi-siècle, Jean-François Abramatic, François Bancilhon et Michel Gien ont été acteurs de toutes les révolutions majeures de la tech, des débuts de la micro-informatique et du capital venture à l’IA. Ils reviennent sur leurs parcours émaillés d’innovations, d’expatriations, de rachats et de dépôts de bilan lors de la Fête des startups 2024.

Des premiers ordinateurs à Internet, puis du Web au mobile et de la Big Data à l’IA… Depuis le début des années 70, ces trois anciens chercheurs d’Inria ont vu l’essor du numérique, auquel ils ont contribué en lançant leur startup ou en rejoignant des entreprises phares du secteur. Ils ont, tous les trois, été des pionniers dans leur domaine.

Jean-François Abramatic a dédié sa thèse au traitement de l’image par ordinateur, “la deep tech de l’époque. J’ai travaillé sur les algorithmes que vous utilisez aujourd’hui lorsque vous zoomez une photo, et ma thèse portait notamment sur la manière d’accélérer le traitement de l’image, alors qu’il fallait à l’époque changer de bâtiment pour faire ce qu’un smartphone fait en quelques secondes aujourd’hui !” Il s’est ensuite essayé au hardware avec les terminaux de GIPSI, avant de diriger le World Wide Web Consortium de 1996 à 2001, puis de devenir l’un des directeurs de l’innovation chez IBM suite au rachat d’ILOG en 2009.

De son côté, François Bancilhon a fait l’ensemble de sa carrière dans la gestion des bases de données, un domaine qui, selon lui, “n’est jamais devenu une commodité, avec de nombreuses innovations et une grande activité aussi bien théorique que pratique ces dernières décennies. On est passé du SQL au NoSQL, puis le Big Data, etc. ” De quoi lui permettre d’accompagner le développement de nombreuses entreprises impliquées jusqu’à récemment dans les problématiques de machine learning, à l’instar d’O2 Technologies, de Mandriva, de C-Radar ou de Sidetrade.

Enfin, Michel Gien s’est spécialisé dans les systèmes d’exploitation, avec comme point de départ UNIX, avant de participer à la création de Chorus Systèmes, afin de développer l’OS Chorus, et de suivre ce dernier au gré des rachats par Sun Microsystems, Red Bend ou Harmann. Il avait toutefois déjà quitté l’entreprise pour fonder Twinlife, un opérateur mobile sans numéro, lorsque qu’Harmann était acquis par Samsung en 2016.

Tous les trois étaient réunis avec Sophie Pellat, co-directrice d’Inria Startup Studio. De leurs témoignages, que nous vous invitons à découvrir dans la vidéo ci-dessus, voici les cinq principaux conseils à retenir lorsque l’on est un entrepreneur ou un chercheur désireux de créer sa startup.

Se méfier des VC

Dans les années 80, il n’y avait pas de VC à Paris. Ceux qui s’y essayaient apprenaient comme nous le fonctionnement des startups en observant les Etats-Unis. Ils avaient plutôt des profils de banquiers, et ne connaissaient pas le “risque” de capital-risque”, rappelle Michel Gien, qui conseille de se méfier des VC : “Et cela, même s’il est important pour financer le développement de l’entreprise. Reste que le meilleur argent, c’est celui de vos clients. Ce sont eux qui payent pour vos produits, et qui ont tout intérêt à ce que vous restiez compétitif pour assurer le suivi, là où le VC voudra retrouver son argent à plus ou moins long terme et pourrait ne plus partager votre point de vue sur la durée.”

Ne pas redouter le dépôt de bilan

Un témoignage vite complété par Jean-François Abramatic, qui a passé l’essentiel de sa carrière entre Paris, Rocquencourt, Palo Alto ou Boston : “Le terme “capital-risque” montre bien la différence d’approche entre la France et les Etats-Unis, où l’on parle de Venture Capital… D’un côté l’aventure, de l’autre, le risque. Ça dit pas mal de choses !”, indique l’ancien président du W3C, qui raconte l’une de ses premières levées de fonds : “J’avais l’accord de deux investisseurs. Après avoir récupéré le chèque du premier, le second m’apprend qu’il abandonne le projet, faute de réussir à valoriser la R&D de l’entreprise… Je suis allé rendre le chèque au premier investisseur, et deux jours plus tard je déposais le bilan, avant de “vendre à la casse” l’entreprise et de repartir pour une nouvelle aventure de deux ans.”

Jean-François Abramatic n’est pas le seul à avoir connu un dépôt de bilan. François Bancilhon en a fait trois au cours de sa carrière, et aborde le sujet avec beaucoup de recul : “C’est un processus, un acte de gestion qui se vit et surtout qui se survit. C’est bien moins douloureux que de devoir annoncer à un collègue, qui est souvent un ami, que l’on va devoir le licencier”, explique-t-il, conscient des difficultés que peuvent rencontrer les entrepreneurs confrontés à une telle situation. “On vous regarde souvent mal, mais il ne faut pas craindre l’avis des gens, la plupart ne savent même pas distinguer les chapitres 7 et 11”, poursuit-il, en mentionnant les chapitres de la loi sur les faillites aux Etats-Unis, qui permettent respectivement de liquider une entreprise ou d’entrer dans un processus de redressement.

Les dépôts de bilan, les rachats, les lancements de nouvelles entreprises… En 50 ans de carrière, on a l’occasion de vivre toutes ces situations, plusieurs fois !”, rappelle Jean-François Abramatic, alors que comme le suggère Sophie Pellat, nos trois témoins ont été touchés par “le virus de l’entrepreneuriat” et ont autant de conseils que d’anecdotes à partager avec les chercheurs et les jeunes entrepreneurs présents dans l’auditoire.

S’entourer des bonnes personnes

N’écoutez pas les conseils de vieux de plus de 70 ans”, répondait François Bancilhon à Sophie Pellat au moment où celle-ci lui demandait justement quels conseils il donnerait au public. “Mais comme je ne suis pas à une contradiction près, je conseillerai tout de même le mentorat : quand vous êtes seul au sommet, vous faites des erreurs, dont un certain nombre sont évitables. Se faire accompagner est toujours une bonne idée.” Un avis partagé par Jean-François Abramatic, qui regrette de n’avoir eu “personne derrière lui vers qui se retourner pour chercher appui”, lorsqu’il a dû monter sa première startup en 1988. “À titre de comparaison, la première startup de la Silicon Valley, Hewlett-Packard, a été créée en 1939 rappelle-t-il, et Steve Jobs lui-même avait pu bénéficier des conseils de William Hewlett à ses débuts.

Toutefois, nos témoins ont pu bénéficier des conseils de leurs pairs, notamment américains, à l’image de Michel Gien, qui avait sympathisé avec Robert Metcalfe, fondateur de 3Com, autre pionnier d’Internet et de l’écosystème startup outre-Atlantique.

Mais au-delà des mentors, le succès d’une aventure entrepreneuriale tient aussi à la capacité à choisir les bons partenaires. Si Michel Gien n’a jamais déposé le bilan, il a fait plusieurs “ventes à la casse”, dans le seul but de continuer à pouvoir payer les salaires. “L’important, c’est l’équipe qui fait l’entreprise. Chez Chorus, les gens acceptaient de baisser leurs salaires pour ne pas licencier. Avoir une telle équipe, composée de personnes engagées et qui partagent vos valeurs et vos convictions est une expérience enrichissante au quotidien. Mais parfois ça ne suffisait pas. Tout le monde en était conscient. La grande réussite, c’est l’exception qui confirme la règle. Bien souvent, l’entreprise arrive seulement à se maintenir, et en cas de coup dur, on doit se vendre au prix minimum si on veut pouvoir continuer à développer ses projets, et avec le recul, ce n’est jamais grave, mais simplement une péripétie dans notre parcours.”

Ne pas le faire pour l’argent

D’autant que ces “péripéties” peuvent se révéler être des opportunités, comme l’affirme à nouveau Michel Gien : “Il ne faut pas lancer une startup en pensant que l’on va devenir millionnaire. J’ai gagné plus d’argent en me faisant virer via des plans sociaux qu’en me faisant racheter ! Sauf une fois, ce qui m’a permis d’achever enfin ma maison… Et c’est en étant racheté par un grand groupe que j’ai pu toucher un bon salaire pendant un temps et cotiser, ce qui me permet d’avoir une retraite décente aujourd’hui !

Être prêt à vivre à 150%

Au-delà de l’argent, ce qui motive notre panel d’entrepreneurs varie. Certains sont poussés par la volonté de faire connaître leur travail et leurs idées, y compris auprès des meilleurs, comme l’évoque Jean-François Abramatic au moment de parler du rachat d’ILOG par IBM et son intégration aux 300 000 employés de la “grande maison”, l’une des très rares entreprises centenaires du secteur numérique.

D’autres veulent voir leurs produits être utilisés par le plus grand nombre, et avoir un impact sur la vie des autres. C’est notamment ce qui a poussé Michel Gien à fonder Twinlife : “Avec Christian Jacquemot, nous voulions capitaliser sur notre expérience et créer une entreprise dont les produits seront directement utilisables par nos proches, et pas intégré à un processus B2B plus complexe.”

Enfin, il y a ceux qui ont été atteints par le fameux “virus de l’entrepreneuriat”, et qui sont en quête d’une aventure, avec les hauts et les bas que cela implique. “Il y a aussi des bons côtés, mais il est certain qu’il faut être prêt à vivre à 150%”, indique François Bancilhon, tout en évoquant les moments de succès, fruit de la collaboration d’une équipe. “On dort souvent mal…  Pendant une période qui a duré un an et demi, chaque 1er du mois, je ne savais pas si je pourrais faire la paye. J’ai tenu, et à chaque fois nous avons trouvé quelque chose. Moi qui ne suis plus chef d’entreprise aujourd’hui, je le regrette chaque jour.

Francois Bancilhon, lors de la Fête des startups 2024 © Inria / M. Magnin

Date de publication : 10/02/2025

Tags : chercheur entrepreneur marché Scientifique startup

Sophie Barre

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